Grotte de Dikté plateau de Lassithi naissance de Zeus Crète

Zeus
l'enfant du pays

La Crète est surnommée « l’île des dieux », mais en réalité, elle est surtout l’île d’un seul dieu, le plus grand de tous, celui sans lequel tous les autres croupiraient encore dans les entrailles paternelles : Zeus.

C’est une question qui n’est pas prête d’être tranchée : où est né Zeus ? « En Arcadie, dans le Péloponnèse, sur le mont Lykaion », prétendent les Grecs du Continent. « À Naxos, sur le mont Zas, près du village de Filoti », entend-on dans les Cyclades. « Chez nous, forcément », revendiquent unanimement les Crétois, même si le sujet divise l’Ouest et l’Est de l'île mieux que le Mur ne séparait les deux Allemagnes. Le camp occidental ne jure, en effet, que par le mont Ida, le plus haut sommet insulaire avec ses 2 456 mètres, tandis que, pour la partie orientale, l’affaire ne fait pas un pli : le berceau du dieu des dieux se situe sur les flancs du mont Dikti.

Une chose est certaine : Zeus est né dans une grotte. Une venue au monde pour le moins discrète pour celui qui allait devenir le plus puissant des dieux de l’Olympe. Mais bon, après tout, ce n’est pas plus mal qu’une étable abritant un bœuf et un âne ! Si Rhea, la maman, a préféré l’inconfort d’une caverne à une chambre single en clinique privée, c’est pour garder son enfant de la voracité de son époux, Cronos, le roi des Titans. Celui-ci avait déjà gobé tout cru leurs cinq premiers marmots, convaincu d’échapper ainsi à la prophétie de ses parents — Ouranos (le Ciel nocturne étoilé) et Gaia (la Terre) — qui lui avaient annoncé que l’un de ses enfants lui ravirait son trône. Sans la ruse de sa femme qui, au lieu du nouveau-né, lui apporta une grosse pierre entourée de langes, l’ogre n’aurait fait qu’une bouchée du sixième de ses rejetons. Au lieu de quoi, le rescapé a grandi dans le plus grand secret grâce à la chèvre Amalthée, qui l’a nourri de son lait, et aux Curètes, de jeunes guerriers qui, à l’entrée de la grotte, dansaient et frappaient leurs boucliers de leurs lances afin de faire un raffut de tous les diables et couvrir ainsi les pleurs du divin enfant. Devenu adulte, Zeus a libéré ses aînés des entrailles paternelles, triomphé des Titans et exilé son odieux daron dans le Tartare, au plus profond des Enfers.

Bien que toute cette histoire relève de croyances qui n’ont plus cours aujourd’hui, elle entraîne chaque année des centaines de milliers de personnes sur les flancs du Dikti, du côté du village de Psychró. Ces spéléologues d’un jour s’acquittent d’une somme rondelette (dix euros depuis le printemps 2025) auprès du ministère de la Culture grec, qui gère le site, avant de descendre les deux cents marches (qu’il leur faudra remonter, évidemment) menant à l’antre du dieu. Longue de plus de 80 mètres, large de la moitié et haute de 14 mètres au maximum, la chambre principale de la grotte abrite un petit lac souterrain rempli toute l’année. Une mise en bouche avant le clou du spectacle : « le manteau de Zeus », un ensemble de piliers, de stalactites et de stalagmites qui tapissent la quasi-totalité de la cavité. Mises en valeur par un jeu de lumières alternant, d’une paroi à l’autre, le rouge, le jaune et le vert, ces concrétions forment un paysage onirique, pour ne pas dire sacré, qui, concédons-le, est tout à fait raccord avec le mythe olympien.

Grotte de Psychro Dikti plateau de Lassithi Grotte de Zeus Crète

© Adobe Stock/Gatsi

Le site vaut-il une visite ? Oui, sans hésiter, si vous êtes féru de mythologie ou sensible à la beauté de la nature. Dans le cas contraire, vous risquez d’être déçu(e). Le Dikteon Antron, ce n’est quand même pas Padirac, le superbe gouffre périgourdin ! En plus de ça, le chemin qui relie la grotte à Psychró est plutôt rude, surtout sous le soleil estival. Ça grimpe sec ! Il existe cependant une solution pour ceux que l’ascension effraie : l’âne. Pour arrondir leurs fins de mois, certains paysans lassithiotes vous proposent de faire le trajet sur le dos de leur animal, moyennant une quinzaine d’euros l’aller-retour. Les baudets en souffrent-ils ? Par le passé, oui. Sans soins, sans ombre, sans eau, sans répit, ces quadrupèdes illustraient parfaitement l'expression « bête de somme ». Mais sous la pression conjuguée des associations de défense des animaux et des autorités du pays, leurs propriétaires, moins têtus que leurs bourriques, ont fait de sérieux efforts pour améliorer le bien-être de l’animal : harnachements de meilleure qualité, mise en place de points d’eau et de tournées vétérinaires, respect des pauses, des rotations et de la réglementation imposant un seul cavalier de moins de cent kilos par tête… Des initiatives louables qui vont dans le bon sens : celui du maintien de l’âne dans le paysage crétois. L’espèce est en effet menacée de disparition sur l’île, comme dans toute la Grèce d'ailleurs. En 1955, près de six cent mille équidés broutaient dans les campagnes hellènes. Soixante-dix ans plus tard, ils sont moins de quinze mille.

Ânes Crète

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