
Un déjeuner
plus que parfait
© Adobe Stock/Veniamakis Stefanos

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Un déjeuner
plus que parfait
Les cuisines grecque et crétoise ont en commun la plupart de leurs ingrédients et pas mal de leurs recettes. Mais l’île natale de Zeus n’en cultive pas moins sa différence, régalant les Crétois et leurs hôtes de quelques spécialités fortes en goût comme en gourmandise.
Allez, faites preuve d’imagination… Vous êtes dans un petit village à l’intérieur de la Crète, sur la terrasse de l’unique taverne à dix kilomètres à la ronde, assis sur une chaise en bois à l’ombre d’un grand platane. Vous demandez la carte ; il n’y en a pas ! Ici, on vous sert un menu unique 100 % crétois et, le patron vous l’assure, tout est fait maison et les assiettes sont aussi copieuses que gourmandes. La promesse est alléchante et vous jouez le jeu. Vous ne le regrettez pas car au menu, il y a…
…des dakos
Marier du pain, de la tomate et de l’huile d’olive, en Méditerranée, ça n’a rien d’exceptionnel. Chaque pays, pour ne pas dire chaque région, a sa recette : la bruschetta en Italie, le pa amb tomàquet en Catalogne (pan con tomate pour le reste de l’Espagne) ou bien encore le hobz biz-zejt des Maltais. Les Crétois ne font pas exception avec leurs dakos. Les tartines du cru ajoutent à la tomate et à l’huile d’olive, de la feta (ou de la myzithra, un autre fromage frais local) émiettée et saupoudrée d’origan. Mais l’ingrédient qui fait toute la différence, c’est le paximadi, un pain biscotté typique de l’île, au point de profiter d’une Indication Géographique Protégée. La recette de ce pain complet d’orge (ou plus rarement de seigle) aux notes légèrement amères et torréfiées nous vient de loin : de la civilisation minoenne. Ce sont les sujets du roi Minos qui ont eu l’idée de trancher leurs miches pour les repasser au four à basse température et les conserver ainsi de longues semaines. Ce mode de fabrication est toujours d’actualité et assure à votre tartine un croustillant sans égal qui s’accorde à merveille avec l’onctuosité de l’huile, la vivacité de la tomate et le fondant du fromage.
…de l’apáki
Prenez un beau morceau de porc, une viande maigre comme la longe ou le filet mignon. Mettez-le à macérer pendant une à deux journées dans du vinaigre de vin. Puis, frottez-le avec un mélange de plantes aromatiques : thym, romarin, origan, sarriette, marjolaine. Suspendez-le au dessus d’un feu de bois d’olivier ou de vigne. Pour finir, découpez-le en lamelles et vous obtenez un mezzé délicieux qui vous remplit la bouche d’un suc tout à la fois fumé, herbacé et acidulé. Croyez-en notre expérience : l’apáki est le parfait compagnon d’un verre d’ouzo ou de raki. À déguster de préférence sur la terrasse ombragée d’une petite taverne villageoise.
…des dolmadakia
Les feuilles de vignes farcies que l’on vous sert en Crète sont souvent plus petites que dans le reste de la Grèce. Au point qu’on les appelle des dolmadakia, soit, littéralement, des « petits dolmas ». Ce n’est pas que le restaurateur rogne sur la quantité. Tout au contraire ! C’est un gage de qualité et de respect de la clientèle car la taille réduite de cette spécialité témoigne de la minutie, de la patience et de l’habilité de celui ou celle qui l’a fabriquée. Au point que, par le passé, les mères de famille crétoises jugeaient la moitié de leur fils chéri à l’allure de leurs feuilles de vigne farcies. Elles étaient petites et parfaitement roulées ? C’était gagné ! Belle-maman s’en allait rassurée sur les aptitudes ménagères de sa bru. Autre différence entre l’île et le continent : la farce. Il est rare que les îliens usent de viande hachée. Ils privilégient plutôt une version végétarienne où le riz est mis en valeur par l’oignon, parfois des fruits secs (raisins ou pignons) et, surtout, un savant mélange d’herbes : aneth, menthe, persil, thym, origan… C’est peut-être moins umami, mais ça n’en reste pas moins intense quand ça fond sous la dent.

…des kalitsounia
Ces petits chaussons à la pâte croustillante — le secret, c’est d’y glisser une cuillère de tsikoudia, l’eau-de-vie crétoise, avant le pétrissage — s’invitent régulièrement au dessert. Ils se déguste alors classiquement en mode cannelle et fromage frais : de préférence, de la myzithra, le plus doux de tous, ou bien du pichtogalo chanion, un crémeux typique de La Canée, estampillé AOP. Mais c’est façon mezzé, garnis de légumes ou d’herbes sauvages, qu’ils surprennent et séduisent le plus le palais. C’est que, si la farce change, l’enrobage, lui, est toujours le même : en fin de cuisson, on nappe toujours les kalitsounia avec du miel de thym, le miel crétois par excellence. Le résultat : un mariage sucré-salé qui les rend irrésistibles.
...des chochlioi boubouristi
Les Crétois et les Bourguignons ont en commun de cuisiner les escargots (chochlioi, en grec). Mais point de persillade sur l’île des dieux. Ici, on frit les gastéropodes encore vivants dans un mélange de farine et d’huile d’olive. D’où le nom de la recette, le terme boubouristi rappelant le crépitement de cette friture. Une fois cuites à point, les bestioles prennent un bain de vinaigre de vin et de romarin avant de finir sur la table.
...un antikristo
Les vieux Crétois vous diront que « si vous n’avez pas goûté l’antikristo, vous ne connaissez pas vraiment la viande d’agneau ». Pour eux (comme pour nous, d’ailleurs), aucun autre plat de viande ne saurait rivaliser avec cette recette venue de la nuit des temps ou presque. Elle est pourtant fort simple : un jeune agneau (arnaki en grec), du sel, un feu de bois, de l’origan ou du thym sauvage — mais rien n’oblige ! — et, surtout, une bonne dose de savoir-faire. En effet, tout le secret de cette préparation héritée des bergers est dans son mode de cuisson, au point d’ailleurs que ce dernier a inspiré le nom du plat, antikristo signifiant « face au feu ».

© Adobe Stock/Oksana
Comment s’y prend-on ? On prépare tout d’abord un grand foyer de bois d’olivier ou de chêne qu’on laisse réduire en braises et flammes basses. La viande est généreusement salée au gros sel et découpée en gros quartiers que l’on plante sur de longues broches qui sont alors disposées en cercle autour du feu, légèrement inclinées vers le cœur du foyer, mais à une distance qui permette à l’agneau de cuire doucement sans brûler. C’est parti pour trois à cinq heures de fumaison, chaque pièce de viande étant retournées régulièrement pour une cuisson homogène. Le gras de l’agneau s’écoule ainsi très lentement, parfumant la chair qui dore à l’extérieur, jusqu’à devenir croustillante, mais reste fondante à l’intérieur. Un pur délice que l’on peut encore déguster dans quelques tavernes, le plus souvent dans les régions montagneuses de l’île telles Psiloritis et Sfakia.
...un arní me stamnagáthi
En grec, l’agneau se dit arní. Un terme qui peut parfois disparaître de l'intitulé de la recette, au profit du terme arnaki qui désigne un petit agneau. Cette précision vient ainsi souligner la tendreté de la viande. Dans tous les cas, l'agneau est la viande de prédilection des Crétois. Ils le savourent rôti au four avec des pommes de terre, cuit à la broche (slouva) ou bien encore mijoté aux herbes et au citron (frikassé). Mais le plat le plus emblématique de l’île reste bel et bien l’agneau au stamnagáthi. Qu’est-ce que cache ce nom énigmatique ? Une herbe (sauvage à l’origine, cultivée aujourd’hui) qui n’est pas sans rappeler la chicorée ou la roquette sauvage. Poivrée, légèrement amère, cette verdure est fortement appréciée par les îliens. Au printemps, quand elle débarque sur les étals, ils l’associent à un carré d’agneau, les liant avec l’avgolemono, cette crème (servie à l’occasion en soupe) mariant œufs et jus de citron.
À LIRE AUSSI :
…un gamopilafo
C’est un peu le risotto crétois. Traditionnellement, on le sert lors des mariages (d’où son nom, le « riz de mariage » puisque gamos, en grec, signifie « mariage »). Cela dit, il n’est nul besoin d’épouser un gars (ou une fille) du coin pour s’en régaler : la plupart des tavernes insulaires l’ont inscrit à leur carte. Il s’agit d’un riz cuit dans un bouillon d’agneau ou de chèvre (des viandes qui sont servies à part, au moment de la dégustation), assaisonné au moment du dressage d’un filet de jus de citron. Le secret de son goût inimitable ? C’est le stakovoutyro que l’on ajoute en fin de cuisson. C’est une sorte de beurre que l’on obtient en chauffant tout doucement de la staka, de la crème de lait de brebis. Cette matière grasse apporte de l’onctuosité et des notes de noisette au riz qui s’en trouve tout aussi riche en goût que crémeux en bouche.
...des tiropita Sfakianes
Sfakia est une région montagneuse située à l’ouest de l’île. Elle est à l’origine de l’un des desserts les plus appréciés des Crétois : la tarte au fromage sfakiane. À la base, une pâte feuilletée travaillée à la tsikoudia (le raki crétois) et à l’huile d’olive. On la nourrit de fromage frais pas trop salé et plutôt doux comme la myzithra ou l’anthotyro, proche de la ricotta italienne. Certains ajoutent de la cannelle, mais ce n’est pas obligatoire. En revanche, on n’échappe pas à la touche finale : le miel de thym.

Γεια μας !*
Si vous visitez les vestiges de Gortyne, la capitale crétoise du temps de la domination romaine, vous remarquerez peut-être, gravées sur l’un des murs de l’odéon, des centaines de lignes énigmatiques. Rédigées en dialecte dorien, elles composent le plus vieux code civil au monde. Datant du Ve siècle avant Jésus Christ, celui-ci détaille les lois réglementant la vie quotidienne des Crétois de l’époque. Ce texte lapidaire évoque ainsi le mariage, le divorce, l’héritage, l’esclavage, la propriété et… la viniculture ! Cela en dit long sur l’importance de la vigne durant l’antiquité crétoise. D’ailleurs, ce n’est sans doute pas un hasard si la mythologie associe l’île grecque à Dyonisos, via le mariage du dieu du vin avec Ariane, la fille du roi Minos.
Exploité des l’ère minoenne, comme en atteste un pressoir vieux de plus de 3 500 ans, retrouvé sur le site de Vathípetro, au sud d’Héraklion, le vignoble crétois est aujourd’hui encore l’un des grands acteurs économiques de l’île. Les vins insulaires pèsent entre 10 et 20 % de la production nationale et rencontrent un succès grandissant. Ce qui n’a pas toujours été le cas. La viniculture crétoise a connu des heures sombres pendant une grande partie du siècle dernier. Les vignerons insulaires ne valorisaient pas vraiment leur vendange, les uns l’amenant au pressoir collectif de leur village pour produire une piquette destinées à leurs propres besoins tandis que les autres la confiaient à de grosses coopératives qui vendaient leur vin en vrac, sans trop se soucier de sa qualité.
À la fin des années soixante-dix, une crise sanitaire va complètement changer la donne. Un siècle après le reste de l’Europe, le vignoble crétois découvre la terrible morsure du phylloxéra, un minuscule puceron d’Amérique du Nord qui s’attaque aux racines des vignes jusqu’à les faire pourrir. On arrache les pieds contaminés à tour de bras et les cépages autochtones sont menacés de disparition. Le vignoble crétois touche le fond ; il peut alors entamer son rebond ! Pour commencer, on plante des cépages qualitatifs venus du continent comme le chardonnay et la syrah. Ils se plaisent de ce côté-ci de la Méditerranée. Mais, à l’aube du nouveau millénaire, quelques vignerons ambitieux et passionnés, attachés à leur terroir, s’emploient à ressusciter certaines variétés de raisin endogènes. Avec des résultats convaincants ! Désormais, l’île compte sept appellations d’origine protégée (des DPO, chez nos amis grecs) et onze cépages indigènes différents, joliment exploités par plus d’une trentaine de vignerons indépendants.
Les plus belles réussites de cette opération revival ? Le liatiko, pour commencer. Un vieux de la veille ! Il était déjà fort apprécié des Vénitiens au Moyen-âge. Il donne des vins légers, mais raffinés et complexes, aux notes de fruits rouges mûrs (cerise, fraise), d’épices, de cuir et parfois de figue séchée, à boire frais, à l’apéritif ou sur des poissons en sauce. La plus parfaite expression de ce cépage : la cuvée Petali Liatiko du domaine Diamantakis, auréolée d’une médaille d’or aux Decanter World Wine Awards 2019.
Et puis, il y a le dafni et le plyto dont le puceron américain n’avait épargné que quelques ceps. Ils régalent à nouveau les amateurs de vin blanc de leur belle vivacité et de leurs arômes intenses. À l’origine de ce renouveau, le domaine de la famille Lyrarakis, situé à la périphérie d’Haraklion. On doit à la ténacité et au savoir-faire de ces vignerons deux petits bijoux. D'une part, la cuvée Plytó Psarades — médaille d’or aux Decanter World Wine Awards 2018 — remarquable par ses notes franches d’agrumes et sa minéralité si précieuse sur des fruits de mer ou des crustacés. D'autre part, la cuvée Dafni Psarades dont le bouquet, fait de notes de garrigue, d’épices et de mentholées, a séduit le palais de Robert Parker, le gourou de la critique œnologique, qui lui a décerné une note appréciable de 89/100.
Mais le plus noble de ces rescapés reste assurément le vidiano. Au début des années quatre-vingt-dix, il n’en restait que quelques ares cultivées dans la région de Réthymnon. Moins de cinquante ans plus tard, c’est la star du vignoble insulaire, le symbole de son sursaut qualitatif. On en fait, en effet, des vins aromatiques et élégants. Leurs parfums fruités (pêche, abricot, melon, agrumes), soutenus par quelques notes florales et herbacées, leur bouche ronde et onctueuse qui n’interdit pas une belle vivacité, en font un rival crédible des plus beaux blancs méditerranéens, tels que l’assyrtiko de Santorin ou les meilleurs vermentino sardes. Il supporte même un vieillissement en fût de chêne, développant alors de beaux arômes miellées et toastées qui le rapproche des grands blancs de Bourgogne. Quelques bouteilles pour remplir votre cave ou, tout simplement, agrémenter votre séjour ? Les cuvées Vidiano et Dafnios Vidiano de Douloufakis, les Vidiano et Ocean Vidiano d’Idaia ou bien encore, pour qui cherche le goût de la barrique, l’Ipodromos Vidiano de Lyrarakis.
*Γεια μας ! [ya mas] : à notre santé !

Les cuisines grecque et crétoise ont en commun la plupart de leurs ingrédients et pas mal de leurs recettes. Mais l’île natale de Zeus n’en cultive pas moins sa différence, régalant les Crétois et leurs hôtes de quelques spécialités fortes en goût comme en gourmandise.
Allez, faites preuve d’imagination… Vous êtes dans un petit village à l’intérieur de la Crète, sur la terrasse de l’unique taverne à dix kilomètres à la ronde, assis sur une chaise en bois à l’ombre d’un grand platane. Vous demandez la carte ; il n’y en a pas ! Ici, on vous sert un menu unique 100 % crétois et, le patron vous l’assure, tout est fait maison et les assiettes sont aussi copieuses que gourmandes. La promesse est alléchante et vous jouez le jeu. Vous ne le regrettez pas car au menu, il y a…
…des dakos
Marier du pain, de la tomate et de l’huile d’olive, en Méditerranée, ça n’a rien d’exceptionnel. Chaque pays, pour ne pas dire chaque région, a sa recette : la bruschetta en Italie, le pa amb tomàquet en Catalogne (pan con tomate pour le reste de l’Espagne) ou bien encore le hobz biz-zejt des Maltais. Les Crétois ne font pas exception avec leurs dakos. Les tartines du cru ajoutent à la tomate et à l’huile d’olive, de la feta (ou de la myzithra, un autre fromage frais local) émiettée et saupoudrée d’origan. Mais l’ingrédient qui fait toute la différence, c’est le paximadi, un pain biscotté typique de l’île, au point de profiter d’une Indication Géographique Protégée. La recette de ce pain complet d’orge (ou plus rarement de seigle) aux notes légèrement amères et torréfiées nous vient de loin : de la civilisation minoenne. Ce sont les sujets du roi Minos qui ont eu l’idée de trancher leurs miches pour les repasser au four à basse température et les conserver ainsi de longues semaines. Ce mode de fabrication est toujours d’actualité et assure à votre tartine un croustillant sans égal qui s’accorde à merveille avec l’onctuosité de l’huile, la vivacité de la tomate et le fondant du fromage.
…de l’apáki
Prenez un beau morceau de porc, une viande maigre comme la longe ou le filet mignon. Mettez-le à macérer pendant une à deux journées dans du vinaigre de vin. Puis, frottez-le avec un mélange de plantes aromatiques : thym, romarin, origan, sarriette, marjolaine. Suspendez-le au dessus d’un feu de bois d’olivier ou de vigne. Pour finir, découpez-le en lamelles et vous obtenez un mezzé délicieux qui vous remplit la bouche d’un suc tout à la fois fumé, herbacé et acidulé. Croyez-en notre expérience : l’apáki est le parfait compagnon d’un verre d’ouzo ou de raki. À déguster de préférence sur la terrasse ombragée d’une petite taverne villageoise.
…des dolmadakia
Les feuilles de vignes farcies que l’on vous sert en Crète sont souvent plus petites que dans le reste de la Grèce. Au point qu’on les appelle des dolmadakia, soit, littéralement, des « petits dolmas ». Ce n’est pas que le restaurateur rogne sur la quantité. Tout au contraire ! C’est un gage de qualité et de respect de la clientèle car la taille réduite de cette spécialité témoigne de la minutie, de la patience et de l’habilité de celui ou celle qui l’a fabriquée. Au point que, par le passé, les mères de famille crétoises jugeaient la moitié de leur fils chéri à l’allure de leurs feuilles de vigne farcies. Elles étaient petites et parfaitement roulées ? C’était gagné ! Belle-maman s’en allait rassurée sur les aptitudes ménagères de sa bru. Autre différence entre l’île et le continent : la farce. Il est rare que les îliens usent de viande hachée. Ils privilégient plutôt une version végétarienne où le riz est mis en valeur par l’oignon, parfois des fruits secs (raisins ou pignons) et, surtout, un savant mélange d’herbes : aneth, menthe, persil, thym, origan… C’est peut-être moins umami, mais ça n’en reste pas moins intense quand ça fond sous la dent.

…des kalitsounia
Ces petits chaussons à la pâte croustillante — le secret, c’est d’y glisser une cuillère de tsikoudia, l’eau-de-vie crétoise, avant le pétrissage — s’invitent régulièrement au dessert. Ils se déguste alors classiquement en mode cannelle et fromage frais : de préférence, de la myzithra, le plus doux de tous, ou bien du pichtogalo chanion, un crémeux typique de La Canée, estampillé AOP. Mais c’est façon mezzé, garnis de légumes ou d’herbes sauvages, qu’ils surprennent et séduisent le plus le palais. C’est que, si la farce change, l’enrobage, lui, est toujours le même : en fin de cuisson, on nappe toujours les kalitsounia avec du miel de thym, le miel crétois par excellence. Le résultat : un mariage sucré-salé qui les rend irrésistibles.
...des chochlioi boubouristi
Les Crétois et les Bourguignons ont en commun de cuisiner les escargots (chochlioi, en grec). Mais point de persillade sur l’île des dieux. Ici, on frit les gastéropodes encore vivants dans un mélange de farine et d’huile d’olive. D’où le nom de la recette, le terme boubouristi rappelant le crépitement de cette friture. Une fois cuites à point, les bestioles prennent un bain de vinaigre de vin et de romarin avant de finir sur la table.
...un antikristo
Les vieux Crétois vous diront que « si vous n’avez pas goûté l’antikristo, vous ne connaissez pas vraiment la viande d’agneau ». Pour eux (comme pour nous, d’ailleurs), aucun autre plat de viande ne saurait rivaliser avec cette recette venue de la nuit des temps ou presque. Elle est pourtant fort simple : un jeune agneau (arnaki en grec), du sel, un feu de bois, de l’origan ou du thym sauvage — mais rien n’oblige ! — et, surtout, une bonne dose de savoir-faire. En effet, tout le secret de cette préparation héritée des bergers est dans son mode de cuisson, au point d’ailleurs que ce dernier a inspiré le nom du plat, antikristo signifiant « face au feu ».

© Adobe Stock/Oksana
Comment s’y prend-on ? On prépare tout d’abord un grand foyer de bois d’olivier ou de chêne qu’on laisse réduire en braises et flammes basses. La viande est généreusement salée au gros sel et découpée en gros quartiers que l’on plante sur de longues broches qui sont alors disposées en cercle autour du feu, légèrement inclinées vers le cœur du foyer, mais à une distance qui permette à l’agneau de cuire doucement sans brûler. C’est parti pour trois à cinq heures de fumaison, chaque pièce de viande étant retournées régulièrement pour une cuisson homogène. Le gras de l’agneau s’écoule ainsi très lentement, parfumant la chair qui dore à l’extérieur, jusqu’à devenir croustillante, mais reste fondante à l’intérieur. Un pur délice que l’on peut encore déguster dans quelques tavernes, le plus souvent dans les régions montagneuses de l’île telles Psiloritis et Sfakia.
...un arní me stamnagáthi
En grec, l’agneau se dit arní. Un terme qui peut parfois disparaître de l'intitulé de la recette, au profit du terme arnaki qui désigne un petit agneau. Cette précision vient ainsi souligner la tendreté de la viande. Dans tous les cas, l'agneau est la viande de prédilection des Crétois. Ils le savourent rôti au four avec des pommes de terre, cuit à la broche (slouva) ou bien encore mijoté aux herbes et au citron (frikassé). Mais le plat le plus emblématique de l’île reste bel et bien l’agneau au stamnagáthi. Qu’est-ce que cache ce nom énigmatique ? Une herbe (sauvage à l’origine, cultivée aujourd’hui) qui n’est pas sans rappeler la chicorée ou la roquette sauvage. Poivrée, légèrement amère, cette verdure est fortement appréciée par les îliens. Au printemps, quand elle débarque sur les étals, ils l’associent à un carré d’agneau, les liant avec l’avgolemono, cette crème (servie à l’occasion en soupe) mariant œufs et jus de citron.
À LIRE AUSSI :
...un gamopilafo
C’est un peu le risotto crétois. Traditionnellement, on le sert lors des mariages (d’où son nom, le « riz de mariage » puisque gamos, en grec, signifie « mariage »). Cela dit, il n’est nul besoin d’épouser un gars (ou une fille) du coin pour s’en régaler : la plupart des tavernes insulaires l’ont inscrit à leur carte. Il s’agit d’un riz cuit dans un bouillon d’agneau ou de chèvre (des viandes qui sont servies à part, au moment de la dégustation), assaisonné au moment du dressage d’un filet de jus de citron. Le secret de son goût inimitable ? C’est le stakovoutyro que l’on ajoute en fin de cuisson. C’est une sorte de beurre que l’on obtient en chauffant tout doucement de la staka, de la crème de lait de brebis. Cette matière grasse apporte de l’onctuosité et des notes de noisette au riz qui s’en trouve tout aussi riche en goût que crémeux en bouche.
...des tiropita Sfakianes
Sfakia est une région montagneuse située à l’ouest de l’île. Elle est à l’origine de l’un des desserts les plus appréciés des Crétois : la tarte au fromage sfakiane. À la base, une pâte feuilletée travaillée à la tsikoudia (le raki crétois) et à l’huile d’olive. On la nourrit de fromage frais pas trop salé et plutôt doux comme la myzithra ou l’anthotyro, proche de la ricotta italienne. Certains ajoutent de la cannelle, mais ce n’est pas obligatoire. En revanche, on n’échappe pas à la touche finale : le miel de thym.

Γεια μας !*
De nombreux vestiges et témoignages, dont celui d’Homère, témoignent du dynamisme et de la qualité du vignoble crétois durant l’Antiquité. Depuis cet âge d’or, la viniculture insulaire a connu bien des hauts et des bas. Elle fut flamboyante du temps de la domination vénitienne, et discrète sous l’autorité ottomane, l’interdiction de l’alcool par la religion musulmane n’invitant pas à son développement. Au début du XXe siècle, une fois l’île passée sous pavillon grec, elle a connu de belles heures avant de décliner à nouveau, sombrant dans la facilité et les gros volumes. Dans les années soixante-dix, l’attaque du phylloxéra aurait pu signer définitivement sa perte. Au contraire, il a permis son renouveau. Tant et si bien qu’aujourd’hui, la production locale, forte d’une dizaine de cépages autochtones et de l’exigence des vignerons qui les exploitent, est l’une des valeurs montante du vignoble méditerranéen.
*Γεια μας ! [ya mas] : à notre santé !
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Les quatre fantastiques
Héraklion, La Canée, Réthymnon et Agios Nikolaos : il vous faut absolument inscrire tout ou partie de ce quatuor citadin à votre roadbook. Et là, nul besoin d’être télépathe pour entendre ce que vous pensez de notre conseil : « si c’est pour courir les villes, à quoi bon aller dans une île ? ». Nous ne saurions vous donner tort. À une exception près : la Crète, évidemment !

La tsikoudiá, le
verre de l'amitié
En Crète, où que vous alliez, on vous offre toujours un petit verre de tsikoudiá, la version locale du raki grec. On le boit toujours volontiers, sans se soucier de l’heure, de sa soif et même de ses arômes, juste parce que cette eau-de-vie issue du raisin a un goût exquis, sans égal : celui de l’amitié et du partage.

La Crète,
une île mythique
Qui ne s'est jamais passionné pour les aventures extraconjugales de Zeus, les inventions de Dédale, le fil d'Ariane et le Labyrinthe du Minotaure ? Des classiques de la mythologie grecque qui ont la Crète pour toile de fond.

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Qui ne s'est jamais passionné pour les aventures extraconjugales de Zeus, les inventions de Dédale, le fil d'Ariane et le Labyrinthe du Minotaure ? Des classiques de la mythologie grecque qui ont la Crète pour toile de fond.

Lassithi break
L’âme de la Crète vous est servie sur un plateau : celui du Lassithi. Perchée à plus de 800 mètres d’altitude, entourée de hautes montagnes, cette vaste plaine constellée de moulins est tout à la fois le berceau de Zeus, un haut-lieu de l’histoire insulaire, le garde-manger de l’île et l’une de ses contrées les plus authentiques. Excusez du peu !

La tsikoudiá,
le
verre de l'amitié
En Crète, où que vous alliez, on vous offre toujours un petit verre de tsikoudiá, la version locale du raki grec. On le boit toujours volontiers, sans se soucier de l’heure, de sa soif et même de ses arômes, juste parce que cette eau-de-vie issue du raisin a un goût exquis, sans égal : celui de l’amitié et du partage.